mardi 19 mars 2024

« La patrie est une réalité sociale concrète », par Julien FREUND

Crédit photo : Stéphane Gaudin
Crédit photo : Stéphane Gaudin

On a beau ironiser sur le concept de patrie et concevoir l’humanité sur le mode anarchique et abstrait comme composée uniquement d’individus isolés aspirant à une seule liberté personnelle, il n’empêche que la patrie est une réalité sociale concrète, introduisant l’homogénéité et le sens de la collaboration entre les hommes. 

Elle est même une des sources essentielles du dynamisme collectif, de la stabilité et de la continuité d’une unité politique dans le temps. Sans elle, il n’y a ni puissance ni grandeur ni gloire, mais non plus de solidarité entre ceux qui vivent sur un même territoire. On ne saurait donc dire avec Voltaire, à l’article Patrie de son Dictionnaire philosophique que « souhaiter la grandeur de son pays, c’est souhaiter du mal à ses voisins ». 

En effet, si le patriotisme est un sentiment normal de l’être humain au même titre que la piété familiale, tout homme raisonnable comprend aisément que l’étranger puisse éprouver le même sentiment. Pas plus que l’on ne saurait conclure de la persistance de crimes passionnels à l’inanité de l’amour, on ne saurait prendre prétexte de certains abus du chauvinisme pour dénigrer le patriotisme. Il est même une forme de la justice morale. C’est avec raison qu’Auguste Comte a vu dans la patrie la médiation entre la forme la plus immédiate du groupement, la famille et la forme la plus universelle de la collectivité, l’humanité. Elle a pour raison le particularisme qui est inhérent au politique. Dans la mesure où la patrie cesse d’être une réalité vivante, la société se délabre non pas comme le croient les uns au profit de la liberté de l’individu ni non plus comme le croient d’autres à celui de l’humanité ; une collectivité politique qui n’est plus une patrie pour ses membres cesse d’être défendue pour tomber plus ou moins rapidement sous la dépendance d’une autre unité politique. 

Là où il n’y a pas de patrie, les mercenaires ou l’étranger deviennent les maîtres. Sans doute devons-nous notre patrie au hasard de la naissance, mais il s’agit d’un hasard qui nous délivre d’autres.

Julien FREUND

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