jeudi 28 mars 2024

Marche de Nimègue…en fauteuil roulant : entretien exclusif avec le sergent Dorival

Vincent DorivalTheatrum Belli a retrouvé le sergent Vincent DORIVAL après avoir accompli l’exploit de parcourir, entre le 21 et 24 juillet dernier, les 167 kilomètres de la dure marche de Nimègue (Pays Bas)…en fauteuil roulant. Il nous livre aujourd’hui ses impressions en exclusivité pour les lecteurs de TB. Propos recueillis par Stéphane Gaudin.

 

Quels ont été tes différents types d’entraînements physiques pour pouvoir affronter cette marche hors norme ?

La préparation s’est faite sur un an et demi. Il y a eu un gros travail de renforcement musculaire. Le but n’était pas de prendre de la masse musculaire mais de travailler sur les muscles profonds, les muscles fixateurs du dos, du moins de ce qui me reste de valide. Il a fallu rééquilibrer le poids du corps pour améliorer, sur de longues distances, ma stabilité dans le fauteuil notamment pour affronter les cotes. Je me suis entraîné sur différents types de revêtement (graviers, pavés…) avec toutes les quinze minutes un travail de renforcement  à effectuer avec des élastiques. Cet entrainement se déroulait au fort de Villeneuve Saint-Georges car la diversité des terrains est propice à ce type d’exercice.

J’ai également fait des stages « chaleur » dans le désert du Néguev ainsi que des stages de 2X40 km sur des terrains vallonnés avec des dévers sur mon bras gauche handicapé. La dernière phase d’entrainement avant de partir consistait à travailler le foncier et le cardio pour prendre de la « caisse » et quinze jours avant de partir repos total.

Une alimentation spécifique a-t-elle été nécessaire ?

Effectivement. Bannir tout ce qui est lipide donc les graisses. Suivre un régime hyper protéiné accompagné de beaucoup de fruits et de légumes.

Lorsque nous étions vus la dernière fois, vous étiez en recherche d’un fauteuil spécifique sans être un fauteuil destiné au sport. L’as-tu trouvé et quelles sont les différences majeures avec un fauteuil que tu utilises au quotidien ?

Nous avons pu en trouver un. Il n’y a aucune différence avec le fauteuil que j’utilise tous les jours. Pour autant, il fallait trouver un fauteuil plus léger. Il fallait que cela reste un fauteuil dit « de vie » donc normal. Nous avons trouvé un fauteuil plus léger car il fallait absolument pouvoir passer les sept collines au troisième jour de la marche. Nous avons cherché avec une ergothérapeute des Invalides un fauteuil de six kilos par rapport au fauteuil de douze kilos que j’utilise tous les jour. Nous avons changé le dossier, plus haut et plus large, en sachant qu’avec la fatigue j’aurais une moins bonne tenue au fauteuil. Nous sommes également partis sur des pneus des roues avant dont le dessin est plus « ovale » que ceux que j’utilise au quotidien, plus « carré » car nous savions que nous allions rouler sur du pavé. Cela engendrait moins de frottement au sol donc moins de freinage sur les distances.

Cela a pris du temps pour le commander puis le tester vu que le fauteuil a été fait sur mesure. Cela représente un coût non négligeable car un fauteuil de ce type dépasse les 6000 euros. Le fait qu’il ne se plie pas a permis aussi de retirer la partie mécanique engendrant une diminution du poids, optimisé par un châssis en carbone.

Quelles sont tes impressions lorsque tu arrives à Nimègue parmi ses milliers de coureurs ?

Il faut compter 45 000 participants dont 40 000 civils qui partent sur un parcours de quatre fois 50 km et environ 5 000 militaires parcourant au total un peu moins, soit 167 km mais en tenue avec rangers et au minimum un sac de dix kg au dos. Le règlement ne m’y obligeait pas mais j’étais aussi lesté d’un sac d’environ 6 kg avec eau, sucres rapides et matériels de soins. La première chose qui m’a plu, c’est le fait de voir tout cet engouement. Il y a un public fantastique avec un concert tous les cinquante mètres et cela durant chaque distance que nous faisons chaque jour. La mobilisation populaire pour Nimègue est impressionnante. Je me suis vu traverser la foule comme au Tour de France. Ce soutien vous porte et vous permet de passer des étapes difficiles. Je me suis même fais pousser par une dame du public à la fin de la première journée : On revient sur la ville de Nimègue, je suis en haut d’une cote, en pavé en plus, il me reste cinq mètres à faire quand une dame se jette sur le parcours et me pousse pour finir l’épreuve.

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Tu es sur la ligne de départ, comment décides-tu de gérer ces quatre jours ?

Déjà au premier jour, nous avons 46 km à parcourir avec comme but d’arriver avant 17h. Le problème du premier jour est qu’on part avant-dernier. On a la distance la plus longue à faire. On est donc parti sur une vitesse moyenne de 5,2 km/h ; ce qui est vraiment rapide. On part en ordre serré. On salue les autorités à la sortie du camp et là je me dis que cela part très vite et que je vais « exploser » au bout de 5 km ; que cela ne va pas être possible. Mais au final on arrive à garder cette cadence jusqu’à la fin.

Le deuxième jour semble moins soutenu…

Effectivement, on avait 38 km à faire pour arriver avant 17h. On a pris notre temps et récupéré de la veille. Malgré le fait d’être partis avant dernier on arrive avant des équipes parties avant nous. Les Hollandais et les Allemands sont impressionnants. Ce sont de vrais « trains » en marche qu’on « regarde » passer. Ils font la fête tard le soir et marchent le lendemain avec une bière à la main avec une cadence incroyable.

Le troisième jour s’annonce plus difficile…

Très difficile techniquement car il y a le passage des sept collines avec différents types de terrains : du gravier, du pavé, du sable, de la côte…qu’on ne ressent pas en tant que marcheur valide mais en tant qu’handicapé. Nous ressentons la moindre petite côte et les descentes également car il y a tellement de monde sur la route qu’on ne peut pas en profiter pour prendre de l’élan. On freine constamment le fauteuil et on sur-sollicite les biceps et le dos. Ce qui fait qu’on n’est jamais dans le repos.

Comment as-tu fait avec un bras valide sur deux pour « équilibrer » ta course ?

Le but est de basculer le fauteuil sur la droite pour mettre tout l’effort sur le bras droit. Un, se servir du revêtement. Une route ce n’est jamais plat, on est basculé soit sur la droite ou sur la gauche. Donc, je mettais mon fauteuil au milieu, légèrement sur la droite pour avoir le dévers de la pente sur mon bras droit. Et pour le cas où le fauteuil basculait sur la gauche à cause du terrain m’obligeant à travailler sur le bras gauche, tout le travail d’entrainement de renforcement qu’on a fait sur un an et demi prenait le relais en sachant que cela réduisait fortement la cadence car je roulais quasiment à l’arrêt. Après pour la montée, vu que j’ai un biceps gauche qui est valide, mais la main invalide, le but était de travailler loin derrière les roues pour tout concentrer sur les biceps en accrochant les mains-courantes du fauteuil et de jamais travailler sur une poussée mais sur un « tirage ». On a trouvé cette technique lors des stages d’entraînements effectués avec mes collègues de la BSPP.

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« J’ai finis avec des flashes au niveau des yeux qui me faisaient perdre la vue. L’épaule droite n’en pouvait plus, elle me poussait déjà depuis 130 km. »

As-tu été confronté à la douleur dans ton parcours ?

Effectivement, lors du quatrième jour à partir du dixième Kilomètre ce n’était plus les « muscles» qui me faisaient avancer mais la volonté. J’étais au plus bas au niveau force et j’avais des décharges électriques dans le bras gauche dû à l’ arrachement du plexus brachial lors de mon accident de moto ; ce qui fait que j’ai finis avec des flashes au niveau des yeux qui me faisaient perdre la vue. L’épaule droite n’en pouvait plus, elle me poussait déjà depuis 130 km. Tous les trois mouvements de poussé, je devais poser mon bras sur mes jambes pour soulager mon épaule. Cela a été comme ça pendant les 30 derniers kilomètres de la marche de Nimègue. J’étais plus ou moins en malaise vagal finissant avec l’émotion les cinq derniers kilomètres en pleurant. Le pari était lourd ; je n’étais pas sûr moi-même de pouvoir terminer le parcours.

Mais la fierté prend le pas sur la douleur…

Oui car j’étais attendu et je ne pouvais renoncer après un an et demi d’entrainement avec une équipe sensationnelle. Oui, car je suis le premier blessé militaire avec un taux aussi élevé d’invalidité à terminer cette marche.

Ton taux d’invalidité est de combien ?

Il est de 100% avec 47 degrés. Je suis « para » haut avec un bras gauche invalide. En terme de classification paralympique, je suis assimilé tétraplégique. Mon bras droit est valide mais il me manque aussi un doigt à la main droite. J’ai commencé le handisport par du lancer de poids et de disque ce qui m’a permis de réussir en partie cette marche car avec le chef Mathieu DEFOSSE qui est sur la base aérienne de Nancy, nous travaillons essentiellement depuis cinq ans sur le renforcement de la posture. Mon frère, le 1ère Classe DORIVAL qui est au groupement formation-instruction des pompiers de Paris et spécialiste en haltérophilie participe aussi depuis cinq ans à mon entrainement sur la transmission de force qui consiste à renforcer la chaîne musculaire du mouvement recherché. J’ai également travaillé avec l’adjudant-chef Laurent MASSOUTY de l’Ecole Interarmées des Sports de Fontainebleau pour faire les stages à Fontainebleau dans lesquels on partait sur de la longue distance. Sans oublier les ergothérapeutes des Invalides.

On a également travaillé l’aspect psychologique en réalisant des séances de « TOP » (technique d’optimisation du potentiel) afin d’habituer le cerveau à « apprécier » la douleur comme pour les cyclistes. L’armée de l’Air est assez en pointe là-dessus pour l’entrainement des pilotes.

Le franchissement de la ligne, une libération ?

En premier lieu une incompréhension. Une multitude de sensations surgissent me replongeant dans le passé depuis l’accident où j’aurais dû normalement y rester puis à toutes ces années de travail pour se dire qu’au final on arrive à finir.  C’est une revanche sur le « tragique » et qu’il peut y avoir un « après » le handicap. Tout dépend de ce que l’on en fait. Durant Nimègue, des marcheurs valides m’ayant vu au départ durant ces quatre jours, leur a donné une volonté supplémentaire pour terminer le parcours. Mes actions ne s’apparentent pas à un dépassement physique et moral personnel qui peut prendre une dimension égoïste mais de rappeler au besoin du don du sang pour le Centre de Transfusions Sanguine des Armées de Clamart, et pas forcément donner une leçon à qui que ce soit. Je suis allé rencontrer chaque équipe de la délégation française pour les sensibiliser au don du sang pour les blessés militaires.

Que retiens-tu au final de ta participation à Nimègue ?

La chose que je retiens est une grande cohésion au sein de notre équipe, au sein de la délégation française, au sein du camp avec une réflexion personnelle sur l’intégration de blessés militaires dans certaines opérations extérieures car je suis persuadé que cela aurait une connotation positive. Le fait d’être amputé, vu que le cerveau n’est pas atteint, ne devrait pas empêcher des blessés de participer à des OPEX avec des missions spécifiques. Cela pourrait donner une motivation supplémentaire pour ceux qui sont dans une forme de fatigue psychique. Ce sont des aspects que l’on remarque dans le civil. Un groupe comme Dassault intègre du personnel handicapé au sein de leurs bureaux et s’aperçoit que la plupart des employés qui ne sont jamais en retard sont souvent des employés handicapés qui en plus, font des heures supplémentaires.

Souhaites-tu voir aussi des blessés militaires défiler au 14 juillet ?

Oui, plus que jamais pour des blessés volontaires pour y participer. L’année dernière, il y avait eu le caporal-chef ATGIE, un amputé avec qui j’ai fais les championnats d’Europe militaires d’athlétisme à WARENDORFF en Allemagne intégrant pour la premier édition les blessés militaires. Il a défilé avec le 132e bataillon cynophile de l’armée de Terre. Il a été blessé par un engin explosif improvisé en Afghanistan et il fera partie de l’équipe para-sport qui va faire les jeux mondiaux à Séoul en athlétisme, accompagné de mon ami le caporal AKAKPO Alain ancien du 8e RPIMa qui c’est classé 4e aux Jeux Paralympiques de Londres en saut en longueur.

Vincent, toute l’équipe de TB, ainsi que tous les lecteurs, te remercient beaucoup pour cette démonstration de volonté et te remercient de nous avoir accordé cet entretien.

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