vendredi 19 avril 2024

Les Scythes : des archers à cheval

Les habitants des steppes étaient cavaliers de naissance et maniaient l’arc à la perfection. Les hommes passaient la plus grande partie de leur temps à cheval. Ils étaient armés en permanence. Les conditions de vie de la société nomade l’exigeaient. « Nous sommes en état de guerre constante, nous sommes tantôt agresseurs, tantôt agressés, ou encore nous avons des différends à propos des territoires de pâture ou du partage du butin », déclare le Scythe Toxaris dans le texte du même nom, écrit par le Grec Lucien au IIe siècle avant J.-C.

LES ARMES OFFENSIVES

L’arme de combat majeure des nomades était l’arc, avec ses flèches. On peut s’en faire une idée au travers des représentations qu’en proposent les images scythes et grâce à quelques très rares trouvailles de l’arme elle-même qui, faite de matériaux périssables, n’est généralement pas conservée. À côté des petits arcs complexes en W longs de 60 ou 70 centimètres, il y avait des arcs longs d’un mètre. Une fois tendu, l’arc pouvait atteindre la moitié de la taille d’un homme. Le bois des arcs complexes était constitué d’au moins trois lattes collées ensemble et recouvertes d’une bande d’écorce de 1,5 centimètre de large enroulée en spirale. Certains détails étaient en os et en tendons. 

Les extrémités recourbées étaient le plus souvent ornées d’embouts en os portant des motifs géométriques, des têtes de rapace en ronde bosse ou d’autres images animales. Pour la corde on utilisait des tendons ou du crin de cheval. Le bois des flèches, de section ronde, était en bouleau, en peuplier, en frêne ou en roseau. Il était long de 45 à 85 centimètres. Quant aux pointes de flèche, à douille, elles étaient le plus souvent en bronze, ce qui permettait de les couler en très grand nombre dans des moules de pierre ou de bronze. Mais on utilisait également des pointes en fer martelé ou encore en os taillé. La partie du bois proche de la pointe était ornée de bandes noires ou rouges. L’autre bout était taillé d’une encoche pour la corde. Un peu plus haut, la tige était empennée de plumes rigides qui favorisaient la précision du tir et sa rapidité. La distance couverte pouvait atteindre 500 mètres. 

Aux VIIe-VIe siècles, les carquois contenaient surtout de grandes pointes de flèche plates en bronze en forme de feuille avec une excroissance latérale qui rendait l’extraction des flèches très difficile après une blessure. La pointe métallique restait fichée dans le corps et, s’oxydant avec le temps, y diffusait un poison mortel, d’autant que les Scythes enduisaient parfois les flèches de substances toxiques. À partir du Ve siècle avant J.-C., on utilisa d’étroites pointes de flèche trilobées capables de voler sur de longues distances tout en gardant une grande précision de tir. 

L’aptitude à bander le robuste arc scythe et à viser au but était, chez les nomades, le critère de la maturité et la condition requise pour être admis dans la caste des guerriers. 

La façon de tendre l’arc est illustrée par la scène qui apparaît sur le vase en électrum du IVe siècle avant notre ère provenant du kourgane de Koul-Oba. L’ensemble de la composition se réfère à un épisode mythologique : le concours institué entre les trois fils qu’Héraclès avait eus de la déesse scythe à queue de serpent pour savoir lequel des trois saurait le mieux tendre l’arc de leur père et combattre. Ce n’était pas là, apparemment, chose facile : l’un des frères a la mâchoire fracassée, l’autre la jambe abîmée. Le vainqueur est le cadet, Skythès, qui reçoit donc la royauté en récompense. 

L’arc et les flèches étaient portés dans un même étui appelé goryte. C’était un fourreau en bois ou en cuir qui comportait un compartiment pour l’arc et une poche extérieure pour les flèches. Les flèches y étaient disposées par rangées. Leur quantité variait de deux à sept dizaines et plus. Pour fermer ces poches, on utilisait un système de tige et de boucle. 

L’arc est l’arme du combat à distance. Pour les affrontements plus rapprochés, les Scythes disposaient de javelots avec des pointes triangulaires plates en fer. 

Dans le corps à corps, on utilisait des haches de combat en fer, des lances de deux mètres de longueur avec des pointes de fer en forme de feuille, des épées en fer et des poignards de types divers. On donnait la préférence à des épées courtes, de 50-60 centimètres de long, avec une lame à double tranchant, qui servait à la fois d’estoc et de taille, c’est-à-dire à frapper et à trancher. Lorsqu’elles n’étaient pas en action, les épées étaient portées dans des fourreaux en bois plaqués de métal sur toute leur surface ou en leur extrémité. Ces fourreaux étaient accrochés sur la ceinture de combat par une courroie et par les éléments d’un porte-épée. Par la suite, Mèdes et Perses usèrent également de cette manière de porter les épées. 

Dans l’équipement de l’aristocratie militaire, un autre élément jouait un rôle important : le fouet. Il n’était pas seulement là pour cravacher les chevaux, mais, si l’on en juge pas l’épopée scythe, il servait à tuer les ennemis et même à mettre à mort les frères de race jugés indignes de la mort honorable donnée par les armes de combat. 

L’équipement militaire de l’aristocratie nomade se distinguait par la richesse de sa facture. Les fourreaux pour l’arc et les flèches, les gorytes, les poignées des épées, leurs fourreaux étaient plaqués de revêtement en or avec des images de bataille, d’animaux affrontés et d’autres sujets adaptés à la destination offensive des armes. 

LES ARMES DÉFENSIVES

Les chefs et l’élite combattaient revêtus d’armures métalliques. Leurs têtes étaient protégées par des casques faits d’écailles de fer ou de bronze doré, avec des protège-joues et des protège-nuques en cuir ou en métal. La cuirasse était une tunique de cuir épais avec ou sans manches, cousue de rangées de plaques de fer qui se chevauchaient tout en gardant du jeu, ce qui assurait une bonne protection au corps en laissant au guerrier sa liberté de mouvement. Pour faire plus d’effet, certains éléments de l’armure étaient en bronze ou plaqués d’or. Outre la cuirasse à écailles que les Scythes avaient empruntée au Proche-Orient, les soldats appartenant à l’élite pouvaient porter des cuirasses grecques, faites de deux plaques métalliques souvent ornementées sur le devant de motifs en relief. La cuirasse était complétée par une ceinture de cuir pour porter les armes, elle aussi recouverte de minces écailles de fer, de bronze, ou plus rarement d’or. Par une ouverture au centre passaient les courroies qui supportaient l’armement. Les ceintures de combat d’apparat étaient décorées d’appliques de style animalier. 

À partir du Ve siècle avant J.-C., des protections pour les jambes vinrent compléter cet équipement défensif. On en trouve de deux sortes, des cnémides grecques faites de plaques épousant la forme du mollet et du genou, parfois combinées avec des protège-hanches métalliques, ou encore une forme locale de jambarts constitués, comme les cuirasses, de petites lamelles de fer unies entre elles par des agrafes en fer. Les unes et les autres étaient fixées sur un support en cuir et attachées à la jambe par des lanières. Il n’est pas impossible que les Scythes aient également utilisé, tout comme leurs cousins saces, des jambarts en bois, matériau qui, sauf circonstances exceptionnelles, ne se conserve pas. 

Pour le cavalier, une protection complémentaire était assurée par de petits boucliers de bois doublé de métal ou couvert d’éléments métalliques. Les boucliers des chefs étaient ornés de l’image d’un cerf, d’une panthère ou d’un autre animal. L’équipement complet d’un guerrier scythe pouvait peser plus d’une vingtaine de kilogrammes.

La plupart des armes étaient fabriquées dans les ateliers métallurgiques implantés le long du cours moyen du Dniepr, là où habitaient des tribus sédentaires d’agriculteurs-éleveurs qui, sans être de souche scythe, étaient soumis aux nomades. Quant aux armes grecques, casques et cuirasses ouvrés, et même harnachements somptueux de type scythe, l’élite guerrière en passait commande ou les achetait dans les cités coloniales grecques voisines. 

La monture du cavalier, elle, comportait, outre le mors et les rênes, une selle en forme de coussin, sans étriers, fixée par des courroies sur le poitrail, sous le ventre et sous la queue du cheval. Les harnachements les plus riches comportaient des plaques frontales en or ou en argent, des couvre-nez, des couvre-joues et des plaques couvrant l’intersection des courroies appelées phalères, ornées de motifs végétaux, animaux ou de personnages de la mythologie scythe. 

La force de frappe essentielle de l’armée scythe, la cavalerie, était constituée par les Scythes nomades. Les fantassins, des agriculteurs et des habitants des steppes trop pauvres pour équiper un cheval, jouaient un rôle secondaire. Il existait également une catégorie particulière de femmes guerrières. Comme le montrent certaines trouvailles archéologiques, les « amazones » scythes, des jeunes filles ou de toutes jeunes femmes, étaient armées d’arcs et de flèches, de lances, de javelots et de pierres de jet. La plupart étaient des cavalières émérites.

À côté de l’armée ordinaire existaient des escadrons spéciaux de guerriers lourdement armés qui formaient le noyau de chaque unité de combat. Ils étaient constitués de représentants de l’aristocratie et de guerriers professionnels qui formaient la suite personnelle des chefs. 

Le choc puissant de la cavalerie lourde qui attaquait en première ligne était capable d’assurer la victoire sur n’importe quel adversaire. Et pourtant, les Scythes cherchaient bien souvent délibérément à esquiver l’affrontement direct, abandonnant même le combat pour, si l’on en croit Hérodote, poursuivre un lièvre. Les archers à cheval fondaient inopinément sur l’ennemi, l’immobilisant à distance sous une avalanche de flèches acérées lancées en plein galop. Répétée à plusieurs reprises, l’attaque démantelait totalement les lignes adverses. Si cela était encore nécessaire, un combat au corps à corps portait le dernier coup.

Les chefs d’État d’Asie antérieure, les premiers à expérimenter à leurs dépens l’attaque des hordes nomades, surent apprécier à sa juste valeur la supériorité des techniques de combat scythes. 

Si l’on en croit Hérodote, le roi mède Cyaxare fit venir des Scythes tout exprès afin d’apprendre à la jeunesse mède à tirer à l’arc. Les archers scythes étaient également très demandés en Grèce, notamment à Athènes où ils assuraient l’ordre public. On sait en outre qu’au Ve siècle, au moment de la guerre contre les Perses, Athènes acheta en Scythie des centaines de mercenaires qui vinrent compléter les rangs de l’armée et de la police grecques. Les nomades exercèrent une influence certaine sur les forces armées des villes grecques voisines, où l’on se servait de flèches et de poignards scythes et où l’on suivait leurs tactiques spécifiques. 

Comme tous les peuples guerriers, les Scythes se distinguaient par leur bravoure et leur mépris du danger, considérant que mourir au combat était pour un homme le destin le plus enviable. Ces qualités étaient cultivées par des traditions guerrières très spéciales que nous relate le « père de l’Histoire ». 

Le meurtre du premier ennemi s’accompagnait d’un rite particulier : le Scythe en buvait le sang. Les crânes des ennemis étaient sciés pour en faire des coupes et doublés à l’intérieur de cuir ou d’or. On scalpait ou on décapitait les morts et on attachait les dépouilles à l’encolure des chevaux. Le nombre de ces trophées permettait au guerrier de faire la preuve de ses mérites aux yeux de la communauté. 

Tous les ans, les chefs organisaient pour leurs hommes des festins, au cours desquels les guerriers valeureux étaient honorés d’une coupe de vin, ou même de deux coupes qu’ils buvaient à la fois. Tandis que leurs frères indignes restaient à l’écart, en signe d’extrême déshonneur. 

Mais l’héroïsme guerrier n’était pourtant pas entretenu par la seule gloire publique. Selon la loi du clan, le chef récompensait d’une part de butin les braves qui rapportaient du champ de bataille les têtes coupées de leurs ennemis. Les autres étaient privés du droit de s’enrichir avec les biens pillés. 

LE SERMENT DE FIDÉLITÉ

Dans ce contexte de guerre et de risque permanent, une grande importance était accordée à la camaraderie de combat et à la solidarité agissante. Des hommes que n’unissait aucun lien de parenté pouvaient s’engager à une fidélité mutuelle en accomplissant le rite de la fraternisation par le sang. D’après les témoignages d’Hérodote (IV, 70) et de Lucien (Toxaris ou l’Amitié, 37), ceux qui contractaient cette alliance entaillaient leurs doigts et laissaient couler le sang dans un récipient rempli de vin dans lequel ils plongeaient un poignard, une hache, des flèches et une lance. Ils prononçaient ensuite le serment et buvaient le liquide sacré. La dernière étape de ce rituel est représentée sur des objets d’époque scythe, ainsi que sur des appliques en or provenant des kourganes de Solokha et de Koul-Oba. 

S’étant alliés, les amis, nous dit Lucien, jurent « qu’ils vivront ensemble et que, s’il le faut, ils mourront l’un pour l’autre ». Lucien ajoute que jamais plus de trois personnes ne contractaient une telle alliance parce que, selon la conviction des Scythes, « l’amitié d’un homme, si elle est partagée par un trop grand nombre, ne peut plus être aussi solide » Lucien a également relevé quelques anecdotes scythes témoignant de l’héroïsme d’hommes qui avaient lié leurs destins par un tel serment de fidélité sur le sang. 

Toutes les armes de combat qui symbolisaient la mort et la vaillance guerrière étaient sacrées pour les Scythes et elles avaient leur place dans diverses cérémonies. L’attribut du dieu de la guerre était un très vieux glaive en fer dressé sur un autel fait de branchages. 

Si intrépides qu’ils fussent, les Scythes n’étaient pas toujours victorieux et ils connurent des échecs. Pourtant, la façon dont ils mirent en déroute les troupes du grand roi perse Darius Ier leur conféra à jamais la réputation d’un peuple invincible.
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