samedi 20 avril 2024

Guerre de 1870 : Des marins s’illustrent…dans les airs, dans une aventure extraordinaire de Paris jusqu’en Alsace

Amateurs d’histoire et de science, voici une occasion de découvrir une part héroïque et méconnue de l’histoire de l’Alsace et du siège de Paris en 1870.

Une histoire méconnue en France et en Alsace

Le 25 octobre 1870, La France est en guerre, Paris est assiégée. Une grande partie de sa défense repose sur des marins, affectés dans les lignes de fortification qui ceinturent la Capitale. Afin de communiquer et de continuer la lutte, on décide d’utiliser des ballons à gaz pour transporter du courrier, des matériels et des passagers.

Le ballon Montgolfier décolle de la gare d’Orléans. Il est 8h30, le temps est mauvais. Trois hommes prennent place à bord : le matelot Hervé Séné, gabier détaché du fort de Bicêtre, le colonel Delapierre et le commandant Le Bouedec. Ces deux derniers sont officiellement chargés de coordonner les troupes en province.

Ces trois hommes sont loin d’imaginer l’aventure qui les attend. Ils subiront le feu de l’ennemi en passant à proximité de Verdun, manqueront de mourir dans une tempête au-dessus des Vosges et finalement atterriront à Heiligenberg, en Alsace… derrière les lignes ennemies.

Empruntons au Commandant Le Bouedec la narration de ce voyage aérien mémorable :

« Pendant trente minutes la direction fut variable ; à 9 heures elle était franchement ouest-est. Le temps était couvert, les nuages bas. A 11 heures, pensant me trouver à une distance assez éloignée de Paris, je donnai l’ordre de la descente. Bientôt, j’eus devant moi une vaste plaine avec quelques villages dans la direction de l’est. A 300 mètres environ de terre, j’allais donner l’ordre de lâcher le guiderope sur un village (on sut par la suite qu’il s’agissait de Nixéville situé à 12 kilomètres au sud-ouest de Verdun) au-dessus duquel allait passer le ballon, lorsqu’une vive fusillade partit de ce village. Des cavaliers se mirent à notre poursuite. Plusieurs balles frappèrent le ballon, mais aucune ne toucha la nacelle. N’ayant plus de lest, je fis couper un premier sac de dépêches. Le ballon descendant toujours, j’en fis couper un second (on verra par la suite que ce largage explique le destin différencié du courrier qui était transporté par le Mongolfier).

Immédiatement le ballon, allégé d’un poids d’environ 150 kilogrammes, monte avec une rapidité vertigineuse ; le baromètre cesse de fonctionner et pendant 40 minutes, nous souffrîmes d’un froid tellement intense que nous ne pouvions plus nous entendre parler et que nos oreilles semblaient près d’éclater (les aéronautes estimèrent par la suite qu’ils devaient être à 5 000 m d’altitude). Un tourbillon de neige et de vent nous enleva comme une plume et, réellement, nous crûmes que notre dernière heure avait sonné.

A midi quinze, je tentais une deuxième descente. Le vent s’amollit peu à peu et bientôt nous jetâmes le câble sur un petit village dont les habitants, le maire et le curé en tête se portèrent immédiatement à notre secours. Dès qu’ils eurent saisi le câble, l’ancre fut lancée, elle s’accrocha fortement et notre descente s’opéra sans incident fâcheux. Nous étions à proximité de Heiligenberg, petit village du Bas-Rhin situé à 9 kilomètres de Molsheim et à 365 kilomètres de Paris à vol d’oiseau ».

Rapidement, les habitants se pressent autour de l’aérostat. Hubert Siat, adjoint au Maire se précipite. L’équipage apprend alors qu’il se trouve… à Heiligenberg, en Alsace, derrière les lignes ennemies ! Il faut faire vite. Mutzig, ville voisine abrite une garnison d’environ 500 Prussiens. Ils ont forcément vu le ballon. De plus, le village est investi par des francs-tireurs qui poursuivent la lutte contre l’envahisseur. Cependant, engager le combat serait inégal. Afin d’éviter un bain de sang, on choisit d’éviter le combat.

Les villageois se mobilisent pour démonter le ballon. Les passagers abandonnent leurs uniformes pour des vêtements de bûcherons. Leurs armes sont cachées, de même que les sacs postaux. On s’organise pour exfiltrer l’équipage à travers les Vosges. Le Colonel Delapierre, ému par l’implication et le courage des villageois, voudrait manifester sa reconnaissance.

Ainsi, il offre à la fille d’Hubert Siat une pochette brodée à ses initiales. Elle la conservera toute sa vie.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Les Prussiens investissent rapidement le village. Ils interrogent les villageois, fouillent les moindres recoins. Chacun se tait, et ils ne trouvent rien. Les menaces se font plus pressantes. On menace même de fusiller Hubert Siat ! Finalement, la sentence tombe : le village a 24 heures pour rassembler la somme de 10 000 francs, sans quoi il sera rasé. Là encore, les villageois sont muets comme des carpes. Ils apportent leurs oboles. La somme sera réunie et le village épargné. Mais ses finances sont exsangues.

C’est maintenant dans les Vosges que l’aventure se poursuit. Plus tard dans la journée, l’abbé Reibel, qui a accompagné les 3 hommes dans le début de leur périple montagnard, est arrêté par les Prussiens. Ceux-ci trouvent sur lui des journaux provenant de Paris. Visiblement l’abbé réussit à embobiner l’ennemi : il ne sera pas inquiété. Enfin, pas tout de suite. Plusieurs jours plus tard, il sera accusé d’avoir participé à une embuscade. En effet, une patrouille a été attaquée au moment où les cloches du village sonnaient. Les Allemands en conclurent qu’il s’agissait d’un signal. Il fut emprisonné. Cette expérience le marqua à vie.

Revenons à Séné, Delapierre et Le Bouedec. Leur périple dans les Vosges dura plusieurs jours. Les conditions météorologiques sont déplorables. Par 4 fois, l’équipage passera les lignes ennemies, si fluctuantes en cette période trouble. Le 27, ils sont à Gérardmer. Delapierre est blessé. Ses compagnons doivent l’abandonner. Il était prévu qu’il regagne la France en passant par Mulhouse puis par la Suisse. Pour une raison inconnue, c’est à Belfort qu’il rejoindra les troupes françaises. La nature de sa blessure est inconnue.

Le Commandant Le Bouedec estime avoir fait 160 kilomètres à pied, en près de 4 jours. Il réussit à gagner Tours, toujours accompagné d’Hervé Séné. La mission du ballon est donc accomplie. Dans ses écris, il ne tarit pas d’éloges envers le matelot, dont il estime qu’il a fait preuve d’un comportement exemplaire dans l’adversité. Il a même demandé qu’une récompense lui soit remise.

Les trois hommes prendront une part active à la suite du conflit. Delapierre deviendra Général instructeur au camp de Saint Omer. Le Bouedec sera rattaché à l’armée de Bretagne, en tant que Général, commandant le camp de Conlie. Quant à Séné, il sera affecté à la seconde armée de la Loire, en tant que chef d’équiper aérostier.

Des liens d’amitié se sont noués entre Hubert Siat et Delapierre. Nous savons qu’ils se sont revus au moins une fois, en 1875. Delapierre a invité son ami à Paris et lui a offert un vase en porcelaine de Gien.

David ALFORT et Fabien REYMANN 

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