vendredi 29 mars 2024

A LIRE : Nouvelles guerres, l’état du monde 2015

Nouvelles guerresChaque année, Bertrand Badie et son équipe de géopoliticiens dressent le bilan d’une réflexion à l’échelle mondiale : en 2014, l’état du monde s’intéresse à la question de la guerre, plus que jamais à l’ordre du jour.

Le sous-titre de l’ouvrage, « nouvelles guerres », a un double sens : nouvelles guerres car certaines se sont déclenchées en 2014, et nouvelles guerres car les schémas traditionnels, clausewitzien ou westphaliens, sont de plus en plus mis en question par les nouveaux médias, les nouvelles technologies, les nouvelles idéologies, engendrant des manières atypiques, pour ne pas dire inconnues, de faire la guerre.

Face à ces redéfinitions de l’espace géopolitique mondial, les puissances militaires doivent penser de nouvelles stratégies, de nouvelles tactiques, de nouveaux outils militaires, à la fois innovants et capables de s’adapter, en certaines situations, à des conflits reprenant des manières de faire la guerre qu’on pensait disparues après l’apparition de la dissuasion nucléaire. Le conflit avec armes conventionnelles n’a pas disparu, ce sont les revendications qui l’engendrent qui sont devenues plus complexes.

Pour éviter un véritable « désordre mondial », expression utilisée depuis la fin de la Guerre Froide, les états-majors doivent penser, se financer, s’équiper de nouvelles façons, pour permettre à un ordre multipolaire d’émerger – tant il semble nécessaire de sortir de la seule hyperpuissance américaine, incapable à elle seule de garantir l’ordre mondial.

Toutefois, les grandes puissances militaires ont un rôle important à jouer – on le voit dans le déploiement actuel de l’armée française – et ces dernières années ont montré qu’elles l’assumaient, mais sans doute avec des méthodes perfectibles quand il s’agit de construire la paix. La situation actuelle de l’Irak illustre ce paradigme de la puissance militaire occidentale, à dépasser au risque de contribuer encore davantage à la progression du chaos.

L’ouvrage est divisé en trois parties : la première s’intéresse aux enjeux des conflits contemporains, la seconde aux acteurs des conflits à travers le Monde, la troisième aux différents théâtres des conflits.

Enjeux des conflits actuels

En ouverture de la première partie, Dominique Vidal propose un panorama des conflits contemporains, qu’il localise, principalement, sur un arc s’étirant de l’Afrique Centrale, en passant par l’espace ex-soviétique et le Moyen-Orient, jusqu’en Asie du Sud-Est. S’ils sont moins nombreux que dans les années 90, ils sont aussi meurtriers, mais moins dévastateurs cependant que le premier XXe siècle apocalyptique. Ce sont souvent des conflits larvés, sur le long terme, cruels et destructeurs pour les populations civiles, ponctués parfois d’invasions étrangères, rarement décisives et qui tournent souvent à la guerre civile, pour ne pas dire la guerre féodale.

Frédéric Ramel s’intéresse à cette désintégration des états et essaye de mesurer leurs responsabilités dans la continuation, parfois sur des décennies, des conflits. Il relativise la notion d’états faillis, pour expliquer que parfois, les conflits s’expliquent car les états sont prédateurs.

Elie Tenenbaum montre que les « guerres irrégulières » – c’est à dire pas contre un acteur étatique ou des acteurs étatiques entre eux – loin d’être une exception de notre XXIe siècle, ont toujours existé. Cependant, il est indéniable que les nouvelles technologies proposent de « nouveaux moyens d’expression » à ces guerres irrégulières.

Laurent Gayet explore l’idée de guerre sans fin : la disparition des normes du conflit traditionnel aurait tendance à rendre plus difficile, dans certaines régions du Monde – on pense à la Somalie par exemple – la résolution pleine et entière des guerres, et l’accession à une vraie sécurité des personnes et des biens, toujours menacées par des flambées de violence.

Razmig Keucheyan pose le problème des ressources et de l’environnement comme source potentielle de nouveaux conflits : ce que les états-majors et les tacticiens des grandes puissances militaires étudient désormais attentivement, en se projetant sur des cinquantaines d’années – projection différente des échéances électorales traditionnelles et qui complique une élaboration sur le long terme des budgets de défense.

Les guerres ont un coût

La seconde partie de l’ouvrage commence par un article de Frédéric Charillon. Il présente le coup – faramineux – des guerres et se demandent si les États n’auraient pas intérêt à définir de nouveaux modes de financement, à la fois moins coûteux et s’adaptant davantage aux aspects conventionnels de certaines nouvelles guerres. Il s’agit aussi d’éviter que le tout technologique ne devienne si cher qu’il empêche de mener à bien les opérations de maintien de la paix.

Olivier Zajec dresse une typologie des acteurs des ventes d’armes et montre qu’elles sont un révélateur de la puissance : en dehors des trafiquants, qui sont souvent petits, les principaux vendeurs sont aussi les principales puissances militaires ou celles qui cherchent à le devenir, telles la Chine ou l’Inde.

Cédric Poitevin dresse un tableau des armes légères à travers le Monde et son titre, « la prolifération des armes légères », dit assez le rôle qu’a joué l’effondrement de l’équilibre des blocs dans la mise sur le marché d’un nombre astronomiques d’armes légères ; ajoutez à cela quelque cas particulier, tel celui des Etats-Unis, qui comptent plus d’armes légères que d’habitants, résultat en l’espèce des lois et des traditions.

Dominique Vidal montre comment Israël, depuis sa création, mais surtout depuis les années 1970, et encore davantage de nos jours, constitue un « laboratoire » des nouveaux usages de la guerre – mais aussi de la reprise d’anciennes méthodes, ainsi la mercenarisation/privatisation d’une partie des outils militaires.

Frédéric Douzet décrit un nouveau champ de batailles, celui des cyberguerres, qui ne font pas encore de victimes physiques mais sont capables de générer des désordres de plus en plus importants. Toutes les grandes armées consacrent désormais de gros budget à la question.

A nouvelles guerres, nouvelles armes, ainsi les drones, dont l’usage est en développement constant et qui entrent dans les problématiques du tout technologique et des guerres dissymétriques, ne permettant pas de résolution pérenne des conflits.

Tandis qu’Alain Deneault décrit la privatisation de la guerre, avec l’apparition d’agences de mercenaires de plus en plus nombreuses, au service des états mais aussi, de plus en plus, des multinationales, Marielle Debos s’intéresse à la question des milices, issues de la société civile ou de parties débandées des armées, qui pullulent dans les conflits de longue durée et sont souvent manipulées, comme des parties de leurs outils militaires, par les puissances étatiques.

Eric Frécon dresse un tableau de la piraterie dans le Monde, en stagnation voire en diminution depuis les épisodes des années 2010 en Somalie, mais jamais endormie ; en fait, le phénomène apparaît récurrent et mobile ; quand on l’endigue quelque part, il resurgit ailleurs : ainsi, il connait en ce moment une croissance importante dans le Golfe de Guinée.

Géraud de la Pradelle montre, en s’appuyant sur les exemples des interventions françaises au Mali et en Centrafrique, que le droit international tend à criminaliser l’adversaire, ce qui peut poser des problèmes au moment de la reconstruction nationale.

Fabrice Weissman pose la question de la place des organisations humanitaires en cas de conflit : elles sont nécessaires mais doivent veiller à rester hors du champ politique, ce qui n’est pas évident dans tous les conflits. Il critique une certaine mode des organisations humanitaires, compliquant parfois plutôt qu’elles ne le facilitent les négociations.

Milena Dieckhoff met en avant la notion de « faiseurs de paix », c’est à dire des hommes de stature internationale, souvent sous mandat de l’ONU, servant de médiateurs dans la résolution de conflits régionaux ; ce type de résolution est en croissance depuis la fin de la Guerre Froide, même si ses résultats ne sont pas toujours concluants, voire bafoués, comme le montre l’exemple du conflit israëlo-palestinien.

Nicolas Lemay-Hébert essaye de mesurer la capacité de consolidation de la paix après un conflit par les structures locales de l’ONU ; deux enseignements : l’exemplarité de l’ONU est essentielle, au risque d’aggraver encore le chaos des régions qu’elle essaye d’aider ; d’autre part, la seule consolidation qui vaille est celle des populations locales, les structures onusiennes devant rester cantonnées à un rôle d’accompagnement.

Raphaëlle Branche dresse un bilan accablant des violences faites aux femmes en zone de conflit, violences utilisées comme arme contre les individus mais aussi contre les sociétés toutes entières, ce que montre leur systématisation.

Claire Rodier clôt ce panorama des acteurs des nouvelles guerres par un article sur un conflit qui ne dit pas son nom : « la gestion militaro-sécuritaire des migrations ». Elle constate que les états connaissant de forts afflux migratoires, surtout les Etats-Unis et l’Europe, ont tendance à armer de plus en plus leurs frontières, seule solution trouvée à un phénomène vécue par une frange importante de la population comme une « invasion ». Elle montre que le vocabulaire utilisé pour discuter du problème a lui-même tendance à se militariser.

De l’Ukraine au Sahel

La troisième partie de l’ouvrage dresse un inventaire des principaux conflits en cours dans le Monde : Mathilde Goannec décrit la crise politique ukrainienne, qui a tourné à la guerre au cours de ces derniers mois ; Régis Genté s’intéresse aux stratégies russes dans le Caucase, qui ont causé plusieurs guerres depuis les années 2000, dont les méthodes semblent être d’ailleurs reprises en Ukraine ; Jean-Luc Racine propose une mise à jour sur le conflit entre Inde et Pakistan au Cachemire, plus vieux encore que le conflit israëlo-palestinien (1947 pour le premier, 1948 pour le second). Pierre-Jean Luizard revient sur une décennie de violences en Irak, qui ne sont toujours pas prêtes de s’arrêter ; Nicolas Dot-Pouillard nous explique en partie pourquoi, avec son article sur la guerre civile syrienne, qui fait le point des différentes forces en présence et de leurs positionnements politiques. Trois articles parlent des guerres en Afrique centrale, Alhadji Bouba Nouhou explique la manipulation de la religion par certains groupes armés, Jean-Pierre Tuquoi décrit l’intervention française en Centrafrique comme un symptôme post-colonial et enfin Colette Braeckman met en lumière tous les groupes armés sévissant dans l’est du Congo, en état de guerre constant depuis deux décennies. Jean-François Boyer conclut l’ouvrage par un conflit atypique et hors du champ géographique actuel de la plupart des conflits : celui de l’état mexicain contre les cartels de drogue qui ravagent l’Amérique Centrale depuis deux décennies.

Pour aller plus loin, Pierre Grosser propose en fin d’ouvrage une bibliographie détaillée et commentée sur les sujets abordés, recensant les dernières publications pertinentes.

Jean-Baptiste VEBER

Editions La Découverte, 258 pages, 18 €

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Les Clionautes
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Les Clionautes sont une association regroupant des praticiens, enseignants d’histoire et de géographie, professeurs des écoles, professeurs documentalistes, universitaires. Elle a été créée en 1998 par des membres de la liste de diffusion H-Français. Les Clionautes se fixent comme but : la promotion et la défense de l’enseignement de l’histoire, la géographie, l’éducation civique, juridique et sociale ainsi que la diffusion des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans l’enseignement de l’histoire et de la géographie. Les Clionautes ont développé une rubrique "Prepa-EMIA", au sein de l'espace "CLIO PRÉPAS" qui est destinée à soutenir la préparation des sous-officiers d’active et soldats du rang préparant le concours d’entrée à l’École militaire interarmes (filière Lettres).
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