jeudi 28 mars 2024

A LIRE : L’interculturalité dans les opérations militaires – Le cas américain en Irak et en Afghanistan

interculturaliteAffirmer que la guerre se déroule aujourd’hui au cœur des populations est devenu un truisme (mais finalement n’était-ce pas aussi le cas auparavant ?), toutefois, une fois que la déclaration de principe est posée, qu’en est-il ?

Dans sa préface, le général (2S) Chauvancy rappelle que trop souvent dans les conflits récents la « dimension humaine avait été largement oubliée au profit de la domination technologique », alors que « l’homme est le principal acteur des conflits avec ou sans moyens », d’où l’importance des facteurs sociaux-culturels et des perceptions. En s’appuyant presque exclusivement sur les exemples américains d’Irak et d’Afghanistan, l’auteure, sur la base (semble-t-il) d’un mémoire universitaire, souhaite dans une première partie faire prendre conscience de l’intérêt que les sciences sociales représentent pour les opérations militaires et, dans une seconde partie en présenter l’évolution récente au sein des armées américaines. Des concepts comme « les dynamiques humaines, la culture et le terrain humain au sein des opérations » (dont la définition reste imparfaite par nature même) peuvent constituer autant d’obstacles à l’action, ou « d’armes » entre les mains d’un chef de terrain habile. Nous sommes ici dans les opérations d’influence, dans ce monde aux frontières imprécises quelque part entre la compréhension de l’Autre, le renseignement et l’engagement des forces.

Les croyances et les valeurs, les rites et les normes sociales, l’organisation et la force des liens entre les individus comme entre les familles élargies, le rapport au temps même constituent autant de paramètres d’autant plus difficiles à maîtriser qu’ils peuvent être différents d’une tribu ou d’un clan à l’autre sur un même territoire, et même dans une zone restreinte en fonction du rang social des interlocuteurs. C’est bien toute la complexité de « l’action au cœur des populations », ou (autre formule) pour les contingents occidentaux à « penser globalement » en fonction de l’effet final recherché mais à « agir localement » pour garantir la pérennité du résultat. Approche globale, actions civilo-militaires, opérations d’influence et soft power sont ainsi au centre du propos. Dans la seconde partie, Nathalie Ruffié s’intéresse particulièrement aux Provincial Reconstruction Team (PRT), Human Terrain System (HTS), Key Leader Engagement (KLE) et à leurs résultats effectifs. Elle s’interroge aussi sur la durée des séjours (« la rotation [du personnel] crée une faiblesse de conscience historique au sein d’une unité ou d’une coalition. De fait, les mêmes propositions reviennent en boucle malgré les échecs précédents et les interlocuteurs afghans -qui eux restent en place- peuvent utiliser les failles »), sur la mise en œuvre de cursus de préparation aux missions et, enfin, elle s’attarde longuement sur les interactions avec le milieu scientifique de la modélisation informatique (domaine dans lequel je reste très prudent, comme face à ce prototype MoodMiner dont un « algorithme mathématique détecte automatiquement les points de rupture selon l’humeur »).

Vouloir tout modéliser est sans doute très américain, mais il n’est pas certain au vu des résultats qu’il suffise, pour préparer le personnel avant déploiement et éviter les erreurs grossières de comportement, d’établir une quelconque check list à partir des réponses à quatre ou cinq questions générales… Il y a une formule que je n’ai pas retrouvée dans ce livre et qui pourtant me paraît essentielle en sciences humaines : « la modestie de l’apprenant », celui qui va écouter, observer, travailler longtemps avant de pouvoir prétendre connaître. Humain, trop humain…

Les nombreuses références qui ponctuent le texte courant et la dense bibliographie finale (en grande partie en anglais) intéresseront les amateurs et les étudiants. On regrette (en particulier dans les annexes) les fautes et erreurs orthographiques, pénibles pour le lecteur (un manuscrit trop vite « bouclé » ?) et, s’agissant d’une publication destinée au grand public, il aurait sans doute été souhaitable pour le lecteur non anglophone de traduire toutes les citations. Au bilan, une contribution utile à notre réflexion, qui permet un point de situation sur les évolutions récentes outre-Atlantique dans ce domaine.

Editions du Cygne, Paris, 2015, 137 pages, 14,- euros.

Source : Guerres & Conflits

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