vendredi 29 mars 2024

Une bataille d’extermination de l’Antiquité : la bataille d’Orange (8-9 octobre 105 av. J.-C.)

La bataille qui a opposé les armées romaines du consul Mallius Maximus et du proconsul Servilius Caepio aux forces armées conjointes des Cimbres, Teutons, Ambrons et Tigurins rassemblées à Orange les 8 et 9 octobre 105 a.C., est connue par différentes sources antiques : Plutarque, (Marius, 11-27), Orose (Histoires, V, 16,1-7), Florus (Œuvres, I, 38), Tite-Live (Pér. 67) et Dion Cassius (Histoire romaine, XXVII, 90-91).

Les vestiges sont dans le sol, représentés par des artefacts découverts depuis quarante ans : amphores Dressel 1a ; Campanienne A ; militaria ; monnaies ; instrumentum ; etc. ; il fait l’objet d’un Programme Collectif de Recherche présidé par le Dr Alain DEYBER (Groupe de Recherche sur la Bataille d’Orange ; Avignon), dirigé par le Professeur d’archéologie Thierry LUGINBÛHL de l’Université de Lausanne (CH), et soutenu par l’association ARKAEOS présidée par Sandra GRECK (Marseille). Ce programme associe par ailleurs de nombreux partenaires publics et privés.

Prolégomènes

Après avoir quitté le Jutland et le Schleswig-Holstein vers 117 a.C. par suite de la détérioration des conditions environnementales, les peuples germano-celtiques se sont dirigés d’abord en direction de l’Europe du sud-est, affrontèrent les Boïens de Bohême, puis les Scordisques, avant de bifurquer vers l’ouest et de pénétrer en Norique (Carinthie). À Noreia, en 113, la coalition y infligea une défaite à une armée romaine commandée par le consul Papirius Carbo. Après avoir été rejoints par la tribu helvète des Tigurins, les migrants traversèrent le Rhin, se répandirent en Gaule qu’ils saccagèrent, et écrasèrent en 109 une nouvelle armée romaine venue à leur rencontre entre Valence et Mâcon. Puis, les Tigurins poursuivirent leur route vers le sud-ouest, où ils apportèrent leur aide militaire aux Volques Tectosages (Toulouse) révoltés contre l’autorité romaine, à qui ils infligèrent une nouvelle défaite, à Agen, en 107. Prenant de l’assurance à la suite de ces succès, les peuples se réunirent de nouveau pour affronter les troupes romaines rassemblées en Provence par le Sénat, en 105, à l’appel de la cité grecque de Marseille inquiète de ces débordements.

La bataille d’Orange

Localisée selon les sources dans les environs d’Orange (Vaucluse ; « apud Arausionem », Tite-Live, Pér. 67), à proximité immédiate du Rhône (« iuxta flumen Rhodanum », Eutrope, Abrégés V, 1,1), cette bataille qui a conduit à l’un des plus grands désastres militaires de l’histoire romaine s’est déroulée sur le territoire de la confédération gauloise des Cavares, et plus précisément du peuple des Tricastins, dont le territoire était verrouillé et défendu par plusieurs oppida et castella. Ce peuple n’était néanmoins pas assez puissant pour s’opposer, seul, à la force armée des migrants composée de guerriers professionnels aguerris par des années de guerres auréolées de victoires. Les sources nous apprennent que les troupes romaines regroupées en Transalpine comptaient plus de 80.000 légionnaires romains et socii italiens, et qu’elles étaient divisées en deux corps d’armée, le premier commandé par le proconsul Q. Servilius Caepio, déjà en Gaule depuis 107, et le second par l’un des consuls en exercice, Cn. Mallius Maximus. Les deux commandants, qui se vouaient une « haine et une jalousie extrêmes » (Orose, V, 16,2) en raison de leurs origines sociales différentes, se répartirent la province, Caepio demeurant en deuxième échelon à l’ouest du Rhône, où il était déjà stationné, et Maximus s’installant en premier échelon à l’est du fleuve, « à proximité d’Orange ». Envoyée se positionner plus au nord sur le Rhône (Piolenc ; Vaucluse ?), une avant-garde de l’armée de Maximus commandée par le légat M. Aurelius Scaurus fut balayée par les troupes germano-celtiques. Capturé et traduit devant le conseil des chefs, le légat fut tué, pendant son interrogatoire, par le roi cimbre Boiorix (« ferocius iuvenis ») pour avoir eu l’outrecuidance d’affirmer que les Romains étaient invincibles (Tite-Live, Pér. 67).

A la nouvelle de la destruction de son avant-garde et de l’arrivée toute proche des migrants par la rive gauche du Rhône, Maximus demanda à Caepio de rapprocher son camp mais, selon Dion Cassius (Histoire romaine, XXVII, 90-91), ce dernier refusa en prétextant que chacun avait à se soucier de la défense de sa propre zone. Puis, Caepio se ravisa rapidement, craignant que le consul ne reçoive seul toute la gloire de la victoire, et déplaça son armée à Arausio, tout en refusant catégoriquement d’installer son camp à proximité de celui de Maximus. Rejetant toute concertation, il prit position à quelque distance, « entre Mallius Maximus et les Cimbres, avec l’intention évidente d’être le premier au combat et donc de gagner toute la gloire de la bataille ».

Le positionnement de l’armée proconsulaire en premier échelon a peut-être impressionné les migrants, qui expédièrent alors une ambassade, vraisemblablement dans le but d’obtenir des terres contre la paix. Les émissaires en route pour le camp de Maximus furent interceptés par des soldats de Caepio qui les amenèrent à leur commandant. « Indigné que cette ambassade ne lui ait pas été adressée », Caepio a tout d’abord manifesté l’intention de faire massacrer les ambassadeurs, puis prenant peut-être conscience qu’il violait là les lois de la guerre, il se contenta de les renvoyer vers leur camp en rejetant toute offre de négociation. Inquiets de l’hostilité entre les chefs des deux armées, les officiers et soldats de Caepio forcèrent leur général à aller trouver le consul et « à discuter avec lui de la situation ». La réunion tourna immédiatement à la dispute et les deux hommes se séparèrent « de manière discourtoise » sans avoir rien résolu. Les sources antiques n’en disent pas plus ; contrairement aux opérations militaires terrestres conduites par Marius durant la dernière phase des guerres cimbriques en 102-101, les conditions et les caractéristiques de la bataille n’ont pas été décrites. Les quelques auteurs qui évoquent la rencontre sont avares en détails. Comme lors des batailles précédentes, les forces romaines n’auraient pas pu soutenir le premier choc des Germano-celtiques (« primum impetum barbarorum non sustinere potuerunt », Florus, Œuvres, I, 38). Certains passages laissent par ailleurs comprendre que le Rhône a bloqué la retraite comme à La Trébie ou à Trasimène, et piégé les légions comme le suggère le récit de la fuite de Q. Sertorius qui, blessé, parvint à échapper au massacre en traversant le fleuve à la nage (Plutarque, Sertorius, 3). La fin de la bataille est décrite plus précisément par Orose (Histoires V, 16, 5-7) : « Les ennemis, maîtres des deux camps et d’un énorme butin, anéantirent tout ce dont ils s’étaient emparés dans un sacrifice expiatoire (execratio). Les vêtements furent déchirés et abandonnés, l’or et l’argent jetés dans le fleuve, les cuirasses des combattants mises en pièces, les phalères des chevaux détruites, les chevaux eux-mêmes noyés dans des tourbillons, les hommes pendus aux arbres par des lacets passés à leur cou et jetés dans des « gouffres » (en fait des combes), si bien que le vainqueur ne fit aucun butin, et que le vaincu ne connut aucune miséricorde » pour avoir humilié son ennemi.

Selon Valerius Antias, repris par ses commentateurs, les pertes romaines atteignirent 80.000 soldats romains ou alliés, et 40.000 « valets » et « lavandiers», sans compter les « auxilia externa » composés de Gaulois, Grecs, Ibères, Baléares, Crétois et Numides, soit la quasi-totalité des forces engagées. Seule une poignée de combattants aurait échappée au massacre, soit en traversant le Rhône pour rejoindre la rive arécomique, soit en fuyant à cheval, comme cela semble avoir été le cas pour Caepio et Maximus qui parvinrent à regagner l’Italie et durent répondre de leurs actes devant le Sénat qui les condamna en raison de leur manque à la fides et à l’honor. L’anéantissement de ses deux armées fut un véritable désastre pour Rome, qui se retrouva en quarante-huit heures comme aux pires moments de son histoire, et qui craignit désormais une attaque de l’Italie (déclaration du jour comme nefas, Plutarque, Lucullus, 27, 8-9).

Par chance, les migrants n’exploitèrent pas leur victoire et se séparèrent à nouveau, les Cimbres passant en Espagne et les Teutons retournant en Gaule interne, où ils attendirent 102 pour lancer une nouvelle offensive conjointe en tenaille, cette fois-là bien en direction de l’Italie par les cols alpins et la route littorale. Cette offensive tourna court : en effet, cette année-là, Marius battit les Teutons et les Ambrons à Aix-en-Provence, puis en 101, il vainquit les Cimbres à Verceil ; seuls les Tigurins parvinrent à se tirer du désastre, et retraitèrent en bon ordre en direction de la Gaule de l’est où ils se taillèrent un domaine sur des terres prises de vive force aux Séquanes et autres Helvètes. La bataille d’extermination d’Orange, qui frappa la plupart des familles citoyennes de Rome et des communautés italiennes alimentant de socii l’armée romaine, fut ressentie comme un traumatisme jusqu’à la fin de l’Antiquité. Cette défaite gravissime contre des Barbares contribua aussi à discréditer le parti des optimates, dont Caepio était l’un des leaders, et conduisit à l’élection de C. Marius au consulat de 105 à 101 avant J.-C., rompant avec la tradition et ouvrant une nouvelle ère dans l’histoire de la Rome républicaine tardive. Bien que des incertitudes nombreuses demeurent concernant l’organisation des légions de la République moyenne dont l’événement sonne le glas, la bataille d’Orange semble avoir donné un coup d’arrêt au système manipulaire, dont les unités tactiques de 160 hommes ne permettaient visiblement plus de soutenir le choc des troupes germano-celtiques qui attaquaient en masse. Cet événement militaire majeur aurait ainsi contribué à introduire un nouveau système, fondé cette fois sur la cohorte de 480 hommes expérimentée en Numidie. Cette réforme tactique et du combat, s’accompagna d’une réforme similaire dans la logistique, où Marius imposa à ses hommes de porter leur équipement personnel (armement ; fourniment ; vivres).

Les forces en présence – Les forces romaines

Les sources n’indiquent pas clairement la composition des troupes qui se sont affrontées à Orange, mais différents types d’informations directes et indirectes permettent d’aborder prudemment le sujet et d’oser une restitution naturellement théorique et hypothétique des forces en présence. Les 80.000 hommes mobilisés en Italie et transférés en Transalpine par le Sénat pour résoudre la question cimbrique étaient répartis en deux corps d’armées: l’armée du proconsul Caepio, déjà en Gaule depuis une année avec un corps expéditionnaire, et celle du consul Maximus, dépêchée en urgence d’Italie pour renforcer la première.

L’armée de Q. Servilius Caepio

Missionné en Transalpine en 106 en tant que consul avec pour tâche de réprimer la révolte des Tectosages, dont il pillera les sanctuaires à son profit, Q. Servilius Caepio disposait de troupes romaines et alliées dont la composante de base devait respecter le schéma classique d’une armée consulaire avec un nombre égal de légions de 4.500 hommes et d’ailes de socii de 5.000 hommes ; toutes les sources mentionnent la présence de ces troupes alliées à Orange, et l’archéologie confirme la présence de ces armes tactiques sur le champ de bataille. En comparant les chiffres à ceux d’autres opérations militaires, il est acceptable que Caepio ait pu disposer d’un corps expéditionnaire articulé autour de trois légions, soutenues chacune par une aile d’alliés, soit un effectif théorique de 28.500 hommes dont 3.600 cavaliers. Des auxilia externa (archers, frondeurs) renforçaient les unités de ligne romaines. Bien que les sources ne les mentionnent pas, il n’est pas impossible que les effectifs romains aient également intégré des auxilia levés en Transalpine, et notamment dans la partie occidentale de la Province où Caepio avait fait campagne (Volques Arécomiques, Consoranes ou Volques Tectosages proromains).

Cela dit, malgré une année de campagne en pays toulousain contre les Volques renforcés des Tigurins, les troupes de Caepio n’avaient jamais affronté ni même vu les autres Germano-Celtiques avant leur rencontre à Orange, et, malgré la présence en leur sein de soldats expérimentés, étaient peu aguerries en regard des guerriers professionnels du camp adverse.

L’armée de Cn. Mallius Maximus

Levée en hâte en Italie pour aller renforcer le corps expéditionnaire de Caepio, l’armée de Maximus devait compter entre 45.000 et 50.000 hommes et pourrait avoir été constituée de cinq légions et autant d’ailes alliées. Ces unités de ligne, comme celles de Caepio, étaient probablement appuyées par des auxilia externa. Il est également possible que cette armée ait été secondée par des auxilia ou des milices originaires de la partie orientale de la Provincia et notamment du pays cavare, où elle semble avoir stationné pendant plusieurs semaines dès son arrivée en Transalpine. Les troupes mobilisées pour constituer cette armée de renfort étaient issues de nouvelles levées par tirage au sort de citoyens et de contingents exigés des cités italiennes et autres peuples alliés. Bien qu’une partie des soldats et des officiers qui les composaient aient déjà combattu en particulier en Espagne, ces unités n’avaient pas d’autre expérience opérationnelle que leur déplacement depuis l’Italie sans rencontrer de sérieuse résistance, si tant est qu’il y en eut de la part des peuples gaulois traversés. Comme nous l’avons vu ci-dessus, le corps d’avant-garde commandé par le légat Scaurus et perdu en avance de phase de la bataille principale, avait été détaché de l’armée du consul. Bien que les sources ne permettent que des suppositions, il semble probable que ce détachement ait été constitué d’une légion et/ou d’une aile de socii (échelle de commandement d’un légat) qui sera donc manquante au moment du choc. En conclusion, il semble possible, à titre d’hypothèse et en étant conscient du caractère spéculatif de l’entreprise, de répartir les 80.000 soldats mentionnés par les sources en huit légions et huit ailes, dont trois légions et trois ailes commandées par Caepio et cinq légions et cinq ailes par Maximus. Des incertitudes demeurent concernant l’organisation des légions à la veille des réformes mariennes, mais les données connues pour le siège de Numance (E) entre 153 et 133, et l’attestation du système manipulaire jusqu’en 109 à la bataille du Mont Muthul (Numidie), permettent de supposer qu’elle était toujours fondée sur le manipule et sur une structuration reposant sur quatre types de fantassins, répartis de la ligne de front vers l’intérieur comme suit : L1 hastati avec pila ; L2 principes avec pila ; L3 triarii avec lances ou piques ; velites avec frondes et javelines intervenant en avant du front, dans les « vides » entre les lignes, ou sur les flancs. Les troupes des alliés italiens semblent avoir été structurées de la même manière, mais comprenaient trois fois plus de cavalerie que les légions (30 turmae de 30 cavaliers contre 10 pour les légions). Un cinquième de l’infanterie et un tiers de la cavalerie des alliés étaient en outre détachés pour constituer un corps d’extraordinarii placé sous l’autorité directe du commandant d’armée, et chargé des reconnaissances, flancs gardes.

Logistique – Train des équipages : Valets, conducteurs de train et vivandiers

Valerius Antias, repris par ses commentateurs, rapporte que 40.000 « valets » (calones) et « lavandiers » (lixae) accompagnaient l’armée romaine et ont péri à Orange. Les premiers étaient généralement des esclaves, servant de valet de pied et de muletiers, tandis que les seconds, en charge de différentes tâches subalternes et notamment des corvées de lessive, pouvaient être de statut libre, affranchi ou servile. Ces civils logisticiens au service de l’armée en campagne pouvaient participer à certains combats, notamment pour défendre leur camp, alimenter les combattants en armes entre le camp et le front des troupes, ou s’occuper de ramasser, évacuer et soigner les blessés. 

Les forces en présence – Les forces germano-celtiques

Les sources indiquent nettement que l’armée germano-celtique parvenue à Orange était constituée par les forces des quatre principaux peuples migrants : les Cimbres, Teutons, Ambrons et Tigurins. Ces peuples s’étant séparés après la bataille pour reprendre la route de manière indépendante, il est presque assuré que la totalité de leur population s’était déplacée et installée à Orange et dans les environs. Nettement inférieurs à ceux d’autres auteurs, comme Orose, les effectifs donnés par Plutarque semblent réalistes avec l’évocation de « plus de 100.000 » Teutons et Ambrons tués ou capturés à Aix, et de 180.000 Cimbres à Verceil. Si l’on applique à ces chiffres le ratio d’un combattant pour quatre migrants donné par César pour l’émigration helvète de 58 avant J.-C. (BG, I, 29 : 92.000 combattants pour 368.000 âmes), les troupes des Cimbres auraient pu comptabiliser environ 45.000 à 50.000 guerriers, tandis que les Teutons et les Ambrons auraient pour leur part aligné environ 30.000 guerriers. Les effectifs des Tigurins participant aux migrations ne sont donnés par aucune source, mais leur victoire près d’Agen sur une armée consulaire comprenant au moins deux légions (soit 9.000 hommes), permet d’imaginer qu’il pouvait disposer d’environ 15.000 combattants ce qui correspond à la dimension médiane d’une armée gauloise du milieu du 1er s. a.C.

Hypothèses préliminaires sur la localisation des camps et de la bataille Nous ne nous avancerons pas sur la question de la localisation des camps et du déroulement de la bataille, qui constituent le sujet des recherches envisagées par le PCR, mais une confrontation entre les informations des sources et la topographie locale semble déjà permettre quelques hypothèses de travail. La rive gauche du Rhône dans la région d’Orange, est marquée au nord par la colline Saint-Eutrope, et au sud par l’éminence du Lampourdier, plus vaste mais moins élevée, jouxtant directement le Rhône. Deux affluents du Rhône, globalement perpendiculaires à ce dernier, cloisonnent la plaine qui s’étend au nord de ces deux éminences : l’Aigues et la Meyne.

Il existait aussi dans l’Antiquité un lac entre les collines de Saint-Eutrope et du Lampourdier ; ces trois « coupures » constituent des obstacles difficilement franchissables pendant une bataille.

Bien que cela reste à démontrer, différents indices permettent de penser que les troupes de Maximus s’étaient positionnées sur le Lampourdier qui verrouille l’axe rhodanien, et dont la surface de plus de 100 ha permettait l’installation d’une grande armée. Selon Diodore, Caepio se serait quant à lui installé à distance du camp du consul, « entre » ce dernier et les Cimbres, de manière à pouvoir être le premier au combat. Le seul secteur qui correspond à cette description est celui de la colline Saint-Eutrope, qui se trouve effectivement « entre » le Lampourdier et l’emplacement présumé des campements des migrants germano-celtiques plus au nord. Bien que nous ne sachions pas aujourd’hui si ce camp occupait seulement la colline ou bien également des secteurs de la plaine environnante, cette situation est la seule qui permettrait d’expliquer que les troupes de Caepio aient pu intercepter une ambassade cimbre se dirigeant vers le camp de Maximus. Quels que soient les doutes qui subsistent quant à leur emplacement, les camps de Maximus et de Caepio, comme ceux de Numance ou, plus tard, d’Alésia, devaient avoir une forme irrégulière, directement liée à la topographie, et ne correspondaient pas au modèle théorique à plan carré décrit par Polybe (Histoires, VI, 23-27). Les indications fournies par cet auteur quant aux dimensions d’un camp pour deux légions et deux ailles (carré d’environ 525 m de côté) peuvent par contre permettre d’évaluer la surface nécessaire pour les camps des deux armées. Ainsi, le ou les camps d’une armée consulaire de 50.000 hommes devait ou devaient occuper une surface d’au moins sept ou huit hectares, tandis que celui ou ceux d’une armée proconsulaire de 30.000 hommes devait en occuper au moins cinq. Les troupes germano-celtiques, venant du nord en suivant la rive gauche du Rhône, se sont arrêtées face aux armées romaines, vraisemblablement sur les hauteurs de Piolenc qui dominent la plaine d’Orange. Si l’ensemble des peuples migrants s’est bien déplacé avec les combattants, ce qui représenterait une multitude de plus de 380.000 personnes, leurs campements de chars (carpenta, plaustra) et de tentes se sont certainement répartis sur une surface très importante, couvrant plusieurs dizaines d’hectares. Bien qu’il soit difficile de restituer le déroulement topographique d’une bataille dont les sources ne décrivent pas les manœuvres, les rares informations dont nous disposons permettent d’être certains que l’événement s’est déroulé sous la forme d’une bataille rangée et donc que les armées romaines se sont déployées dans la plaine, selon une ligne qui suivait peut-être le cours de la Meyne, directement au-devant de leurs camps, cette disposition leur ayant permis de profiter du lit de la rivière pour freiner l’assaut adverse. Nous ignorons si ce déploiement a été initié par Caepio suivi par Maximus, par les deux généraux de concert ou par les migrants germano-celtiques, mais il semble certain que les troupes de Caepio comme celles de Maximus n’ont pas réussi à soutenir le premier choc des régiments barbares (Florus, Œuvres, I, 38) qui, par une manœuvre en « coup de faux » les ont rabattues sur le Rhône où elles se sont fait massacrer. « Maîtres des deux camps », les Barbares vainqueurs ont pratiqué les rites de destruction décrits par Orose au bord du fleuve, dans lequel ils auraient jeté tout l’or et l’argent découvert dans les camps ainsi que les chevaux de l’armée romaine vaincue. Ces sacrifices ont vraisemblablement eu lieu à l’arrière du Lampourdier, vers le château de l’Hers, au pied des coteaux de Châteauneuf-du-Pape, où les fuyards des deux armées se sont probablement fait piéger, et massacrer. Il est possible que les migrants, sur lesquels ne planait ensuite plus aucune menace, soient restés quelques temps dans la région d’Orange pour se « refaire » et « exploiter » le pays. Ils se séparèrent ensuite, pour tenter l’aventure de manière indépendante, en Gaule et en Hispanie…

Alain DEYBER

Administrateur civil hors classe (H) – Directeur de projets en archéologie

  • Président du Groupe de Recherche sur la Bataille d’Orange (Avignon).
  • Membre d’ARKAEOS (Marseille) et de COBATY-PARIS-SEINE.
  • Expert partenaire d’ALGOÉ consultants et du cabinet D2K_Avocats (Paris-Lyon).
  • Chercheur associé au Centre national de la recherche scientifique / UMR 6298 – ARTeHIS (Dijon).

BIBLIOGRAPHIE

  • Deyber, Alain, Les Gaulois en guerre : Stratégies, tactiques et techniques, Essai d’histoire militaire (IIe/Ier siècles av. J.-C.), Paris, Errance, 2009.
  • Luginbühl, Thierry, La « migration des Cimbres et des Teutons » : une histoire sans archéologie ? », dans Gaeng, Catherine dir., Hommage à Jeannot Metzler, Archaeologia Mosellana, 9, 2014, p. 343-360.

Cimbres - carte migratoire

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1 COMMENTAIRE

  1. Quels sont les sources qui vous permettent d’affirmer qu’il y a eu un affrontement en  » bataille rangée ».
    J’ai personnellement l’impression que les romains ont fait l’objet d’une attaque surprise qui ne leur a pas permis de réunir l’ensemble des légions pour y faire face.
    Vu le rapport des forces en présence, si il y avait eu « bataille rangée » comme les romains savaient si bien le faire, le résultat aurait sûrement été moins désastreux, voir complètement différent.

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