jeudi 28 mars 2024

Conflit entre al-Qaïda et le Califat au Caucase

Le 11 août 2015, une dépêche AFP a annoncé la mort du chef de l’organisation islamiste Émirat du Caucase, Magomed Suleïmanov et a insisté sur le fait qu’il avait prêté allégeance à l’État islamique. Or, cette erreur montre une méconnaissance des conflits internes qui ont miné cette rébellion depuis plus d’un an.

L’Émirat du Caucase réclamant depuis 2007 la souveraineté sur la partie russe du Caucase mène une guerre de basse intensité contre la Russie, marquée notamment par deux attentats retentissants à Moscou dans le métro en 2010 et à l’aéroport de Domodedovo en 2011. Après la mort de son dirigeant historique, Dokou Oumarov en septembre 2013 (date donnée par ses partisans), son remplaçant, le Daghestanais Aliaskhab Kebekov a connu des difficultés pour maintenir l’unité apparente de cette organisation transrégionale. Il s’est rapproché officiellement d’al-Qaïda à partir de juillet 2014 en soutenant al-Zawahiri dans sa querelle avec al-Baghdadi en Syrie, puis surtout quand ce dernier s’est proclamé calife. Suivant la position des théologiens proches d’al-Qaïda (al-Maqdisi, abu Qatada,…), il a jugé al-Baghdadi comme un imposteur. Ils affirmaient que la primauté de tous les émirats insurgés revenait au premier émirat créé, celui des Talibans, puis au second émirat : al-Qaïda. Seul le premier aurait eu la légitimité de prendre le titre de califat.

Ce conflit international et souterrain entre al-Qaïda et le Califat [1] a poussé les groupes de la mouvance takfiriste à se positionner. L’Émirat du Caucase, durant la domination du Tchétchène Dokou Oumarov (2007-2013) avait su rester ambigu sur ses rapports avec l’ancienne organisation de Ben Laden. Ainsi les deux plus grands experts de cette organisation affichaient des positions antagonistes (l’États-unien Gordon Hahn les considérait liés, tandis que le Tchétchène Maïrbek Vatchagaev voyait dans ces propos une entreprise de désinformation russe). Avec son successeur, l’existence de ce lien n’était plus réfutée. Mais celui-ci a amené ce conflit au Caucase du Nord.

Le Califat a réussi à s’implanter d’abord au Daghestan à partir de décembre 2014, lorsque des dirigeants locaux puis régionaux ont quitté l’Émirat du Caucase pour rejoindre le Califat. Lors de la mort de Kebekov en avril 2015, cette organisation s’est retrouvée dans une situation assez délicate puisqu’aucun leader ne s’affirmait et que les émirs régionaux ont pu brandir la menace de prêter serment au Califat, en cas d’insatisfaction. En juin 2015, une grande partie des leaders a ainsi prêté allégeance à al-Baghdadi et créé la wilayat (région) du Caucase du Nord au sein du Califat, donc une organisation islamiste concurrente de l’Émirat du Caucase.

Le successeur de Kebekov a été Magomed Suleïmanov, connu pour ses positions virulentes à l’égard de ceux qui rejoignaient al-Baghdadi quand il avait la position de qadi (juge suprême) de l’Émirat du Caucase. Il est donc erroné de le décrire comme un proche de l’État islamique, comme l’a fait l’AFP et une partie de la presse lors de sa mort le 11 août. Ce présent article rectifie ceci et apporte une compréhension aux conflits internes à la mouvance dite « jihadiste ». Dans cette dernière, les concepts de realpolitik et les conflits d’ego prennent une place prépondérante. Or, les représenter comme des groupes idéologiquement et politiquement « purs » serait les idéaliser et risquer de favoriser leur expansion.

Ismaël CHELLAL

Doctorant en géopolitique à l’Institut Français de Géopolitique
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[1] Nous choisissons à dessein d’utiliser le terme de Califat pour désigner ce groupe, car le dénommer État islamique, IS ou ISIS ne correspond plus à ses revendications, tandis que Daesh est un terme péjoratif. Nous ne mettons pas non plus de terme « auto-proclamé » car chaque entité politique est par essence auto-proclamée. Nous aurions pu l’entourer de guillemets pour marquer les absences de lignée dynastique concrète, de possession des lieux saints de l’islam, de pouvoir étendu et montrer qu’il s’agit d’une manœuvre médiatique. Mais, il aurait été fastidieux de les accoler à tous les noms de groupes insurgés alors que la majuscule montre qu’il s’agit d’une organisation et non d’un califat, dans le sens d’autorité politique.

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